dimanche 2 octobre 2011

Une histoire d'amour entre lui et moi (2)

Dans mon histoire d’amour entre le vélo et moi, j’en étais aux derniers milles de ma vieille bécane à rétropédalage (lire là>>>). Je commençais à avoir des goûts d’évasion, des envies de me rendre un peu plus loin qu’à l’école ou chez des amies. J’allais avoir dix-huit ans en avril, je n’avais pas mon permis de conduire, je n’y pensais même pas, les transports en commun me suffisaient amplement, tous mes amis demeuraient à proximité et pour aller à la campagne, je suivais encore mes parents. 

Il n’était pas question d’avoir un simple trois vitesses, je voulais tout de suite passer aux dix vitesses. Je ne connais pas toute l’histoire du dérailleur, mais je sais bien qu’en 1968, au Québec, les vélos dix vitesses pour le commun des mortels commençaient tout juste à faire leur apparition dans les commerces. Et seulement des vélos de gars. Je voulais un vélo de fille, pas de barre encombrante. 

Après avoir feuilleté les pages jaunes, j’ai trouvé Baggio à Montréal. Un italien qui avait connu la course. Une toute petite boutique dont les murs étaient tapissés de photos, d’affiches du Tour de France. Un monsieur qui, sans me trouver ridicule, accepta de me fabriquer un vélo sur mesure . Je le voulais rouge avec des poignées recouvertes de bandelettes blanches, pas d’aileron (j’allais le regretter les jours de pluie) un porte-bagage. Il m’a annoncé le prix : 100 $. Une somme énorme pour moi. Qui dépassait amplement le budget alloué aux cadeaux d’anniversaire. Ma mère, la responsable de nos « paies » me fit une suggestion : en cadeau, elle me payait la taxe : 8 $, ensuite au lieu de me donner 20 $ par semaine, en allocation, elle m’en donnerait la moitié… pendant dix semaines. Affaire conclue. 

Pendant dix ans j’avais eu une bicyclette, j’aurais maintenant un vélo. Je fis bien des jaloux, mon frère y compris. C’était à mon tour d’admirer un vélo et même, à l’occasion, de me l’emprunter. 

Ma vie de liberté commençait. Chaque samedi, je partais de Ville Saint-Laurent et je choisissais une destination différente : Longueuil, par le pont Jacques-Cartier, plus souvent vers le nord : Sainte-Dorothée, Saint-Janvier et même Lachute. Un jour de juin, je décidai même de frapper un grand coup : me rendre au lac Simon. Partie à 8 heures le matin, j’arrivai au lac à 4 heures de l’après-midi. Ça n’allait pas être mon exploit à vie, je ferais bien mieux.

Le vendredi soir où je sortis de chez une de mes amies et que je ne vis pas mon vélo rouge que j’avais appuyé bien droit, sur le trottoir, le cœur cessa de battre dans ma poitrine. Je ne paniquai pas, mais rentrée à la maison après avoir cherché partout, je ne dis rien à personne, je me résignai à téléphoner à la police pour signaler le vol, mais le ton du policier me fit comprendre qu’il ne ferait pas grands efforts pour le chercher. Je ne dormis pas beaucoup et à cinq heures, je marchais déjà dans les rues à la recherche de l’amour de ma vie. Je regardai dans chaque entrée de garage, je m’aventurai même dans les cours arrière, je m’approchai du moindre vélo rouge. Pendant trois heures. Et finalement quand je l’aperçus par terre, sans même être caché à la vue des badauds, je le reconnus tout de suite. Sans égard pour l’heure ou l’endroit, je sonnai à la porte, une dame en robe de chambre m’ouvrit et fut bien surprise d’apprendre qu’il y avait un vélo rouge dans sa cour. Elle se confondit en excuses pour son fils et me permit bien sûr de reprendre mon bien. Je m’empressai de trouver une cabine téléphonique — je ne voulais pas appeler de chez nous pour ne pas apprendre à mes parents que je m’étais fait voler — et de téléphoner à la police leur spécifiant bien que j’avais fait leur travail et retrouvé mon vélo. 

De ce jour, je n’appuyai plus mon vélo sur le bord du trottoir et j’achetai un cadenas. 

J’allais hélas le revendre mon tant aimé vélo rouge le jour où j’ai déménagé à la campagne, croyant que, travailleuse-pouvant-se-payer-une-auto, je n’aurais plus besoin de vélo. C’était bien mal connaître l’amour que je vouais à cet objet qui m’offrait beaucoup plus qu’un moyen de transport. 

À suivre
(photo: un de mes vélos sur une plage, symbole d'évasion et de liberté)

8 commentaires:

  1. Tu me donnes presque le goût de me procurer l'un de ces engins à deux roues, qui donnent mal aux fesses et qui sont un calvaire pour les cuisses dans les côtes abruptes.

    Je ne suis pas vélo du tout et j'arrive difficilement à comprendre "l'amour" et "l'engouement" que les gens peuvent avoir pour ces outils de torture.

    Beau texte, Claude ! Bonne journée.

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  2. À Lucille: ah! zut. Nous avions tellement en commun jusqu'à maintenant...

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  3. Ce billet est si bien tourné qu'il augmente encore d'un cran mon envie déjà grande de lire Les Têtes Rousses. hihi

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  4. À Sylvie: je crains fort qu'il y ait un grand écart entre ces petits billets spontanés et un roman travaillé et re-re-re-re corrigé. Cet écart sera-t-il en ma faveur, ça!

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  5. Oh! un vélo rouge de chez Baggio !
    Je comprends qu'on l'ait "emprunté",
    je comprends mal qu'on l'ait vendu,
    je soupçonne qu'on l'ait bien regretté.

    Jolie histoire et si bien racontée!

    mon Marinoni bleu "emprunté" n'est jamais revenu. On l'a cherché sur tous les supports a vélos, pendant 2 ans... mais...
    [Et, On ne l'a toujours pas oublié !]
    Ce fut, 10 ans de bonheur ... ;)

    Natalie Bédard

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  6. NatouB: merci de votre passage sur mon blogue, j'irai voir le vôtre demain, on dirait qu'on a quelques passions en commun, comme la généalogie ou la Petite-Nation?

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  7. Je viens de comprendre, NatouB: vous êtes membre du blogue "Ils ont bâti un pays" mais vous n'en êtes pas l'auteure. Vous n'avez pas de blogue à vous si je comprends bien.

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  8. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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