dimanche 29 juin 2014

C'est le dernier, que je me dis chaque fois

Dites-moi ce que vous lisez, je vous dirai ce que vous aimez écrire.
Dites-moi ce que vous aimez écrire et je vais vous dire chez quel éditeur publier.

Lecture dans le sud, l'hiver dernier.
La semaine dernière, je lisais L’album multicolore et Tout comme elle de Louise Dupré. Les deux avec un égal bonheur. J’ai lu tous les mots, toutes les pages. À la fin, j’ai dit « Pas déjà fini ». J’en prendrais encore. 

Cette semaine, j’ai commencé La vérité sur l'affaire Harry Quebert de Joël Dicker. Un roman publié en 2012. J’en avais lu du bien et du moins bien, j’hésitais donc. Comme souvent, je lis ce qu’on en dit, je cherche à connaître l’auteur, je feuillette en librairie. Finalement, je l’ai fait venir à la bibliothèque. Une fois en main, je pris plaisir à m’asseoir sur ma galerie arrière, à l’ombre. Je plongeai. Facilement, rapidement, goulûment. Évidemment, un écrivain devant la page blanche, incapable d’écrire après un énorme succès et la belle vie, c’est sûr que je lisais, très intéressée. Sans m’identifier puisque je n’ai jamais été célèbre !

Jusqu’à la page 63, j’ai réussi à ne pas penser à mes propres écrits. Comme c’est une histoire quasi-policière avec des morts, un suspect, des questions, un héros sauveur, une victime innocente, m’arriva ce qui devait m’arriver : je voulais tout de suite savoir, alors j’ai sauté à la table des matières, j’ai lu l’épilogue, suis revenue un peu en arrière au chapitre :  La vérité sur l’Affaire (pourquoi un A majuscule ?) Harry Quebert, page 514. Et voilà j’ai eu mes réponses. Le reste ne m’intéressait plus.

Pourquoi j’en parle, parce que c’est le genre de livre qui se vend, le genre d’histoire que la majorité des lecteurs aime bien, le genre de bouquin dont les éditeurs raffolent. À preuve, il a été traduit en je ne sais plus combien de langues, vendu à je ne sais plus combien de milliers d’exemplaires et a gagné deux ou trois prix.

Mais, mais, mais ce n’est pas le genre que je préfère en tant que lectrice et donc pas le genre que j’écris. 

Lors d’une rencontre avec un éditeur au sujet d’un manuscrit présenté… « à retravailler », il fut d’ailleurs question de surprises à rajouter, d’écrire un roman et non un récit, et de contexte historique-social à documenter. Et si je ne satisfais pas ses exigences, aurais-je une troisième chance ? 

Il n’y a jamais rien d’acquis, rien de gagné. Surtout pas dans le monde de l’édition québécoise. Toujours la sempiternelle question qui revient : et pourquoi je ne me contente pas d’être lectrice ? Chaque fois, la réponse revient comme un boomerang : je ne peux pas m’empêcher d’écrire ! C’est le dernier manuscrit que j’essaie de faire publier, c’est le dernier, c’est le der…. 
Y’a un boutte à être maso !

vendredi 20 juin 2014

Trois pour le prix d'une

Trois plaisirs pour le prix d'une escapade de quatre jours dans la région de la Yamaska Nord
Dans l’ordre : premier plaisir, le camping
Deuxième : le vélo
Troisième : la lecture


Le camping : je me suis réconciliée avec les Sepaq. Je les boudais parce que je trouvais prohibitifs leurs coûts d’entrée : 7,50 $ par jour par personne. En prenant une passe pour le réseau : 135 $ pour deux, j’ai accès à tous les parcs, sans avoir à me soucier de ces frais d’accès. En les oubliant, j’ai l’impression de ne pas les payer. Reste le camping. Le sans service est de 29 $ la nuitée et le deux services de 38,25 $ Plus les taxes. Disons que c’est un prix assez compétitif si on ne compare pas les genres de campings. Dans les Sepaq, ce ne sont pas les services, le wi-fi ou les activités qu’on va chercher, mais surtout l’espace et la nature. La nature et encore la nature. Alors au parc Yamaska, je fus servie, gâtée. J’ai beaucoup aimé.

Le vélo : des pistes cyclables, des vraies, pas des bandes cyclables le long d’une route. Le rêve pour une promeneuse comme moi. Je ne cherche plus ces sentiers de vélo de montagne escarpées où il faut grimper, descendre debout sur les pédales. Je préfère le plat, le facile. Autour de Granby, je suis servie. Une région où je n’allais plus puisqu’il fallait passer par Montréal, Décarie et pont Champlain. Avec l’ouverture d’un tronçon de l’autoroute 30 du barrage de Beauharnois, je peux me rendre dans les Cantons de l’Est dans un petit deux heures. Des points de vue le long du réservoir Choinière, des haltes le long de rivière Yamaska Nord. Du soleil, des gens gentils. Rien que du présent.

La lecture: ça faisait longtemps que je n’avais pas lu. Longtemps, dans mon cas, c’est près de trois semaines. Faisait encore plus longtemps que je n’avais pas lu un livre:
1- écrit par une femme
2- écrit par une auteure de ma génération (nous avons dix mois de différence)
3- écrit par une Québécoise

Et ce n’est pas tout, elle a écrit sur la mort de sa mère survenue en décembre 2011, or la mienne est décédée en mai 2012. Pire encore, tout comme dans ma famille, elle a une tante qui a séjourné à Saint-Jean-de-Dieu de Montréal et à Saint-Michel-Archange de Québec.

Donc, identification, sentiment de sororité. J’ai lu avec grand intérêt.

Heureusement, je n’avais pas Internet, je me serais ruée sur ma tablette pour tout savoir de cette auteure et peut-être même lui écrire. Ce que je ferai peut-être. Pour lui dire merci. Merci d’avoir écrit sur la relation mère-fille, sur la mort, sur celle des autres, sur la nôtre qui viendra trop vite.

À la mort de mon père, je n’ai pas senti le besoin d’écrire sur lui. Dans les faits, j’ai écrit sa biographie avant qu’il ferme les yeux pour toujours, un certain soir du mois d’août 2006. J’étais plus fille de mon père que fille de ma mère, je dirais. Ce sont pourtant des images de ma mère qui resurgissent parfois. Je revois les derniers jours quand je lui tenais la main. Je cherche encore ce qu’elle voulait me dire en ouvrant la bouche et en murmurant trois « mouah» en me regardant. Je ne saurai jamais. Il me vient des émotions dans un geste de ses petits-enfants. Je me dis qu’elle aurait aimé, souri.

Louise Dupré dans L’album multicolore a tout de même écrit 191 pages sur ce sujet. Je la remercie d’avoir tant écrit, sans trop de répétitions, à part sa «mauvaise lumière du salon», qui à la fin me faisait sourire.

Je lui envie son éditeur qui a accepté de publier un tel récit. Je me demande s’il lui a suggéré d’enlever quelques « mauvaise lumière du salon ». Bien sûr, j’ai noté plusieurs phrases dont celle-ci : « mais, même sans larmes, l’enfance reste tapie dans un coin sombre, elle nous guette, elle ne meurt jamais ». Je ne fus pas surprise d’y voir une phrase que je glisserai dans mon prochain roman. J’aurai l’air d’avoir copié, mais la mienne a été écrite  en 2006 : « on ne sort pas indemne de son enfance ».

En voyant sa bibliographie et les nombreux prix remportés, je me réjouis pour elle de sa réussite. Je ne suis pas très poésie, mais je lirai certainement ses romans.

jeudi 12 juin 2014

Les visages de la peur

Enfant, je n’avais peur de rien. Ni des couleuvres ni des sangsues. Ni de l’eau ni des orages. Peut-être seulement de causer du chagrin à mes parents. Une peur qui me rendit aimable.

Adolescente, je commençai à avoir peur de la violence des humains. Peur de déplaire. Peur de plaire. Une peur qui me rendit prudente.

Dans la vingtaine, j’eus peur de tomber enceinte sans être mariée. J’ai été rejetée, j’eus peur de ne plus être aimée. Puis, j’ai aimé, j’ai voyagé, j’ai travaillé. J’ai vécu. J’avais la vie devant moi. Je n’y pensais même pas. Je suis devenue téméraire. J’ai fait des folies. En ski, en auto, en canot. Pas le temps de penser, pas le temps d'avoir peur. Pas la vraie en tout cas qui ressemble à un mur noir avec plus rien derrière.

Dans la cinquantaine, je commençai à fréquenter les médecins, les cliniques, les hôpitaux. Pour mes parents, pour des amies, pour les autres. Un peu pour moi, mais je n’avais pas peur, j’avais confiance. Je ne pensais pas à la mort sinon à celle des autres.

Au début de la soixantaine, un cancer du sein. La peur n’a pas montré le bout de son nez, la mort non plus. Il n’y eut que l’attente. L’attente de l’après, de tous ces petits « après » qu’on attend, qu’on espère, certaine de leur venue. Et ils arrivent, un à un, jour après jour. 

Un matin, la vie reprend son cours normal, je peux voyager à nouveau, trois semaines, puis six. Ne plus être dans l’attente, ça fait du bien. Je sais bien que je ne suis plus éternelle, mais je peux espérer au moins dix ans encore, vingt peut-être. C’est peu, c’est beaucoup. Tout redevient possible.

Et puis un jour de douche, comme dans les films, une petite masse sur le sein opéré. Les comparaisons commencent, les questions aussi. La peur arrive avec ses doutes et grossit plus rapidement que la bosse. Une peur qui paralyse. Une peur qui devient anxiété, qui gruge le mur de confiance érigé au cours des années. Elle me rend vulnérable et silencieuse. Très silencieuse.

Une peur qui fait peur, qui annonce la possible fin, le possible arrêt de tous les possibles. 

Je rue dans les brancards, je me secoue, je téléphone, j’insiste. J’obtiens un rendez-vous dans dix jours. Ce qui me soulage un temps, comme si je remettais mon sort entre les mains de personnes expérimentées. Comme si j’étais prise en charge.

Et puis j’en parle. Un peu. À une seule personne. Pour ne pas inquiéter les autres. Pour ne pas voir la peur des autres. J'ai bien assez de la mienne.

Je transpose dans mon roman, on meurt beaucoup dans mon prochain roman. J’évacue mes émotions, mes craintes chez mes personnages.

Il y a ce voyage en Alaska, que je dois réserver bientôt. Dois-je l’annuler?

Peur de décevoir. Je me sens responsable, je me sens coupable. Je fais semblant. J’essaie de ne pas paniquer. Je ménage mon bras droit, mes ganglions, ma lymphe. Je vois du monde, je ne lis plus. Je regarde des reportages sur la guerre, je vois la peur des soldats. La peur fait-elle mourir? Je lui en veux à cette mort, à cette peur de venir rôder. Laissez-moi tranquille un peu. Laissez-moi vivre encore quelques années. Pas déjà? Pas déjà?

Et enfin, la visite chez la chirurgienne. Depuis un mois les questions et en quinze minutes, elle y répond : la bosse est modulée. Avez-vous eu un traumatisme, vous êtes-vous frappé le sein? Pas que je me souvienne (mais par la suite, je me souviendrai d’une presque chute en vélo, peut-être que le miroir ou la poignée m’a heurté le sein). Le regard clair et franc, les yeux dans les yeux, elle me dit que ça ne l’inquiète pas, ce n’est pas le cancer qui revient. C’est modulé, qu’elle me répète. Un nouveau mot pour moi. Un beau mot, doux à mes oreilles. Rassurant comme une chanson joyeuse. C’est que j’ai un voyage en Alaska prévu pour… Mais allez-y? Oui, vous êtes certaine. Je lui sauterais au cou. Je l’embrasse. 

La peur a tellement creusé son trou qu’elle ne s’évanouit pas comme ça. Le doute reviendra, bien sûr. Mais pour l’instant, je savoure. Tout redevient possible. Je prépare mes bagages, je dresse la liste de mes besoins. Du vélo à Plaisance, la semaine prochaine, camping à… dans dix jours, un petit tour dans les Laurentides. Et puis ces bottines qui me faisaient envie. Et cette bouteille de vin à 20$ gardée pour les grandes occasions… avec qui fêter?

La peur, tu peux bien repartir dans ton trou, allez, va te cacher, va rejoindre ta comparse, la mort. Je ne veux plus vous revoir avant dix ans au moins. Plus peut-être.

vendredi 6 juin 2014

6 juin 2014: Relais pour la vie

Le 6 juin, pour certains, de moins en moins nombreux, c’est la commémoration du débarquement en Normandie en 1944. Jour triste. Pour moi, c’est le souvenir du jour où j’étais à Calgary en compagnie de l’artiste qui a trouvé une galerie qui acceptait d’exposer ses tableaux, et qui remerciait son père dont c’était justement l’anniversaire de naissance. Jour joyeux.

Mais cette année, en 2014, le 6 juin, ce sera mon deuxième Relais pour la vie. « Une nuit pour la vie », mais pas un jour joyeux, certain. Commanditée, accompagnée, j’irai marcher à Saint-André-Avellin. Un peu plus triste que l’an dernier parce que dans la dernière année, trois autres de mes connaissances sont décédées de ce foutu cancer qui ne cesse de se prendre pour une épidémie et tire tous azimuts sans égard à rien.

Je ne devrais pas alimenter ce billet de ma tristesse, de ma colère, de ma peur de la mort, de la mienne surtout. Ce n’est pas beau. Je devrais parler d’espoir, de vie. Mais, sur le cancer, on est bien loin d’une victoire totale, d’une reddition sans condition. Tout cet argent que l’on donne aux divers organismes, toute cette confiance que l’on met dans la recherche, oui, ça sauve des vies, ça les prolonge, mais à quand les réponses définitives à nos pourquoi et à nos comment. Tout l’argent du monde ne changera pas l’inévitable. Et ce n’est certainement pas moi qui ne suis ni médecin, ni chercheur, ni philosophe, ni religieuse qui peut fournir des réponses aux nombreuses questions ou calmer les inquiétudes.

Je peux juste marcher, tant que je le peux encore. Avec ma peur que je vais laisser de côté. Au cours de la nuit, en compagnie de tous les survivants et des accompagnateurs, je la changerai en amour de la vie, je le sais bien. Demain sera joyeux. 

Pour faire un don ou informations: site de Relais pour la vie>>>
(photo prise l'an dernier, cadre jaune aux couleurs du Relais pour la vie)