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dimanche 29 novembre 2020

Elle

Depuis le temps que je la connais, que je la côtoie, je vous la présente enfin.

Je l’ai aimée tout de suite. J’avais 26 ans. Depuis ma petite enfance, elle avait été une copine sans plus. Je n’aurais jamais cru qu’elle put devenir une amante et un amour. Je doutais tellement, je cherchais la perfection, je réfléchissais trop, j’hésitais pour tout.

Je me rappelle encore le sentiment euphorique du premier «je t’aime» prononcé à haute voix. Ou n’est-ce pas plutôt ce cliché éculé : «j’ai besoin de toi» qu’on entend à la fin des films sentimentaux? Ma respiration courte et retenue. Mon cri étouffé. Les mains couvrant mon visage. J’ai du mal à croire que c’est pour moi. Discrètement, presque en secret, pour ne pas l’effaroucher, ne pas la faire fuir, j’accepte. Excessive, je lui consacre tout mon temps.

Chaque semaine, je lui découvre une nouvelle facette. Sa beauté, sa générosité, sa douceur tout autant que sa force. Nous ne parlons pas de tout, mais nous parlons de l’essentiel. Elle sait faire naître le meilleur. Lui faire plaisir me comble. Elle me rend importante.

Juste elle et moi. Découvrir, essayer, aller dans toutes les directions, entrevoir toutes les possibilités. Devant le fleuve, au pied des arbres, sur une route de campagne. Dans la maison, dans la chambre, dans la cuisine. Dans la neige, dans les feuilles d’automne, en chaloupe sur un lac. À l’aube, au soleil couchant.

Elle me raconte des histoires, elle m’offre la liberté et les grands espaces, elle me dit qu’on va vivre de macramé et de macaroni, cultiver les radis et la poésie.

J’y crois. Attachement passionné. Attentes démesurées.

Pendant deux ans.

Ensuite, la vie matérielle reprend ses droits. Il faut payer l’électricité, remplir le frigo, mettre de l’essence. Je retourne sur le marché du travail. Moins de passion, moins de temps à lui consacrer. Je m’égare, je m’oublie.

Je me réveille un matin et elle est partie? Non. Plus sournoise, plus taciturne. Un peu plus chaque jour. Sans que je sache pourquoi. Ai-je la tête ailleurs? Ai-je dit ou fait quelque chose qui l’a blessée, donné le goût de se venger. Présente, mais silencieuse. J’essaie la gentillesse, la taquinerie, la patience, et j’avoue... la violence verbale. Rien n’y fait, elle ne m’accorde aucune attention. Et moi, de moins en moins.

S’installent alors de froids rituels. Des repas rapides, des conversations banales. Aucune des deux véritablement absentes, mais le cœur ailleurs, éteint.

Pendant quelques semaines, pendant mes vacances surtout, nous reprenons de la vigueur. Je retrouve mes premiers émois. Une fougue, un élan. Même mon corps se transforme : un visage épanoui, les épaules détendues, un cou invitant. Des mots gentils. Elle peuple ma solitude et pourtant, comme dans la chanson, je m’en suis fait une habitude et une amie de cette vie solitaire.

J’en ai eu assez de nous garder secrètes, j’ai voulu nous montrer, nous rendre visibles, être reconnues. Mais comme une vedette de cinéma, on aurait voulu qu’on nous découvre, qu’on nous aime sans avoir à le crier sur les toits, sans avoir à se pavaner ou se battre. Que les petits pas franchis nous mènent vers une grande place publique. Ce fut trop d’efforts pour moi. J’ai renoncé. Ou plutôt j’ai laissé aller.

À quarante ans, elle me manque trop, je tente un rapprochement. À force d’appel et d’attentions, de présence et de persévérance, elle revient, différente, plus mature. Aussi exigeante. La peur de la perdre à nouveau aurait pu me paralyser, paradoxalement, je me sens plus libre. Je ne cherche plus à la retenir, à tout lui sacrifier ou pire, à la contrôler. D’amoureuse possessive et dépendante, je deviens amicale et ouverte à ce qui peut venir.

Elle me le rend bien. Même si je recommence à pleurer, à douter, à mal dormir, je suis sinon heureuse, au moins fière.

Au lieu de nous balader dans les grandes villes, à la recherche d’une reconnaissance officielle, nous nous présentons à nos ami. e. s, aux personnes qui nous comprennent, qui nous aiment. Malgré certains jugements, dont certains m’ont blessée, nous faisons preuve de compréhension et nous nous contentons de cercles plus restreints.

Aujourd’hui, à 70 ans, je ne cesse pas de l’aimer, mais pour me sentir en vie, je n’ai plus besoin d’un miroir pour me sentir belle ou importante. Voilà, c’est ça : je n’ai plus besoin d’elle pour exister. Alors je la côtoie quand ça me plaît, juste pour le plaisir.

Elle, l’écriture.

dimanche 15 novembre 2020

Le choix des mots

Professeur, je disais des milliers de mots dans une heure. 
Infographiste, je cherchais les meilleurs, les plus précis pour les titres d’articles, pour les annonces. 
Auteure, je peux jongler avec les mots pendant des jours, des semaines. 

Hypersensible aux mots. Ceux que je dis, ceux que j’entends. 
Nos conversations marquées par l’oralité ne laissent pas le temps à la nuance ni à la recherche du mot juste. Pendant que je trébuche sur un mot, déjà un autre sujet. Pourquoi les réponses courtes, même maladroites, ne me suffisent-elles pas? Pourquoi toujours vouloir débattre ou tout nuancer? Juste jaser, c’est possible non! 

Aujourd’hui, le mot « envahissante ».
Je pourrais me contenter de répondre « non, non, bien sûr que non, tu n’es pas envahissante ». Et ça s’arrêterait là. Choisir la facilité, la bienséance. Émoticône sourire. Et on passe à un autre sujet. 
J’ai choisi la taquinerie : « bien sûr que tu es envahissante... » me suis-je entendue dire. Me suis sentie obligée de rajouter « mais pas dérangeante ». Ça me trotte dans la tête depuis. Je cherche encore une meilleure réponse, probablement parce que je ne sais pas ce que je ressens, je ne sais pas clairement ce que je pense. Boileau a bien raison.

La semaine dernière, c’était le mot : « folle ». J’entends très souvent « fou » ou « folle ». Pas pour me qualifier, moi. Non, pour décrire quelqu’un: Trump, un tueur. Une femme dont le comportement ne fait pas notre affaire, nous dérange, nous fait souffrir. On dit « folle » pour ne pas chercher plus loin. On se protège, on fuit, on évite. On juge.

Quand les mots traînent dans mon esprit, c’est que le doute vient de s’installer. Ou le malaise ne se dissipe pas. Ou comme dit Lisanne Rheault-Leblanc dans son livre Présages : 
« Certains mots reviennent et reviennent : leur répétition actionne maladroitement des leviers rouillés, déclenche des flashs, des brûlures de honte, une suite d’images troublantes dont la bande sonore s’est égarée dans les archives. »
Il ne faut pas non plus imaginer que c’est maladif mon affaire. Ou souffrant. Les mots me font jouer au Scrabble, à Alpha Betty. J’en ai fait mon métier de cette recherche des mots. Exercice matinal aussi : écrire la soirée de la veille ou le plaisir du jour. Ou le trop-plein. 

Et ne me dites pas de lâcher prise ou d’arrêter, ou de ne pas m’inquiéter. J’aime bien chercher, essayer de comprendre, approfondir et si possible expliquer, communiquer. 
Comme assembler un casse-tête, celui de ma vie.


mercredi 1 juillet 2020

Devant la fenêtre...

Un certain retour à la routine d’avant le grand confinement. Assise à mon bureau, devant la fenêtre. Un bureau qui ne sert plus à l’écriture de roman. Une fenêtre qui m’invite à la rêverie. Devant moi, un monde de feuillus et d’oiseaux — un couple de moucherolles, ces jours-ci, parce qu’un nid au-dessus de la fenêtre justement.

Devant l’écran de mon ordinateur, lecture de blogues, lecture de Facebook. Ce matin, lecture du dossier de LQ sur les écrivains et l’argent. Ce qui m'a fait croire pendant quelques minutes que j'étais encore une écrivaine.

Depuis la parution de mon dernier roman (à compte d’auteur parce qu’aucun éditeur n’en a voulu, parce que Vents d’ouest qui avait publié les deux précédents a fermé ses portes), je n’ai rien écrit. J’ai mis la clé dans la porte de ma vie d’écrivaine. J’ai commencé ma vie de « snow-bird » et de retraitée. Mais je m’intéresse encore à ce monde qui m’a toujours attiré depuis mon enfance : le monde des livres. Je lis beaucoup moins parce que beaucoup de raisons. J’écris encore moins. Surtout par pur désintérêt. Plus envie de souffrir les affres de la création, l’attente de l’acceptation ou la responsabilité de la promotion. Je n’aurai jamais « vécu de ma plume », mais j’aurai été dan le monde des mots écrits toute ma vie.

N’empêche qu’il me vient encore des idées. Des sujets de roman. Des opinions sur telle lecture. Des petits ressentiments inutiles. Des rêves fous comme quand j’avais 26 ans alors que pourtant, je savais très bien qu’une fois le premier contrat signé, je n’allais pas devenir une écrivaine qui vit de sa plume.

Mon image folle de ce matin : un éditeur de romans historiques accepte de rééditer ma trilogie sur mes ancêtres irlandais. Comme ça, sans que j’aie eu à lui demander. Parce qu’il en a entendu parler. Parce qu’il est au courant que Vents d’ouest a fermé ses portes et donc que j'ai retrouvé mes droits d'auteur. Parce que l’histoire peut encore intéresser bien des lecteurs.

Les images folles qui s’imposent me font sourire maintenant. Je les laisse venir, je les développe à peine et après les avoir écrites, je passe à autre chose, comme tondre le gazon ou peinturer un mur. Ou mieux : je lis Le jardin d’acclimatation de Yves Navarre. Parce que Madame lit en a parlé dans son blogue. Parce que j’ai beaucoup aimé le roman de Luc Mercure dans son roman Le goût du Goncourt qui m’a fait connaitre ce Yves Navarre. Comme quoi, les livres, j’y pense encore. J’y reviens toujours.

dimanche 4 août 2019

Le curseur clignote


Le curseur clignote.
Mon regard vers la fenêtre, vers l’arbre. J’entends l’oiseau qui pépie.
Rien sur la page blanche.
Un seul billet en juillet.
Non pas le silence dans ma tête, mais plutôt un fouillis. Des aiguilles de pin mêlées aux herbes folles.
Le curseur attend.

Pourtant je lis. Un peu, pas tous les jours.
Sylvie Drapeau, L’enfer et Le ciel. Le frère, le petit dernier dans l’enfer de la maladie mentale, et la mère qui voit ses enfants partir vers la grande ville dans Le ciel. De toute beauté. Un après-midi pour chaque livre. Un bel été chez moi. Un été pour jaser, pour recevoir, pour sortir. À peine le temps pour lire, encore moins pour écrire.

Pourtant pas une question de temps.

Le curseur recule. Ne reste que quelques mots. Parfois, rien.

J’ai lu aussi L’écrivain frustré de José Angel Mañas. J’ai cru pendant quelques pages trouver un alter ego, comprendre le trou dans lequel je refuse de tomber, le mur que je refuse de regarder. Le plaisir d’écrire qui m’a quitté.
Mais ce roman, c’est tout autre chose. Je vous le raconte parce que vous ne le lirez sans doute pas. C’est un écrivain qui ne parvient pas à écrire. Il vole carrément le manuscrit d’une de ses élèves. Il veut l’éliminer, la tuer pour qu’elle ne parle pas. Il la séquestre (comme le policier enfermait ses victimes dans District 31) pour qu’elle ne dise rien. Le livre est publié, c’est un succès. L’éditeur lui en demande un autre. Un livre déjà primé alors qu’il n’est même pas écrit. Mais voilà que le monsieur n’a jamais rien écrit. Il essaie de forcer son élève retenue prisonnière de l’écrire avec lui. Il la menace, elle résiste…. Jusqu’à mourir. Elle meurt, Le monsieur comprend qu’il l’aime, il croit lui faire l’amour. C’est morbide. Et alors que les policiers arrivent, ça y est le monsieur se met à écrire. Entre tout ça, des amours, de la jalousie, les couples se font et se défont.

Je ne suis pas à ce point désespérée.

Chaque matin, parce que c’est toujours le matin que j’ai envie d’écrire, je m’assieds devant la page blanche du fichier Word. Je détourne la tête vers la forêt. Et je me demande ce que je ferai aujourd’hui. Je regarde l’agenda. Il y a le dentiste, la coiffeuse, une fête, un diner, la visite, un client. Et quand il n’y a rien, à 11 h 30, je me lève, je vais à la poste à vélo. Puis le diner. Puis Facebook, Candy crush, Jardins de mots. Entre 16 et 17 heures, une bière ou un verre de vin. Puis le souper. Le soir, la télé. Trop fatiguée pour autre chose.

Dans ma tête, du vent. Dans mon cœur, un tourbillon.
Et aucune envie d’organiser les quelques phrases qui se sont faufilées au cours de la journée.
C’est ça, je suis désorganisée.
Comme en vacances.
Et j’ai peur un tantinet que ça ne revienne pas, que le curseur clignote des jours et des semaines.
J’ai un peu honte aussi.
Chez nous lire, écrire n’était pas gaspiller son temps, au contraire. C’était se cultiver, entretenir son intellect. Alors, j’ai honte de gaspiller mon temps, ma vie, les années qu’il me reste.
J’ai même honte de l’admettre. Je me dis grouille-toi, discipline-toi, mets de l’ordre dans tes idées.
Mais quelles idées?

Le curseur attend.
C’est l’heure de la poste. Mais non, nous sommes dimanche, alors c’est le temps d’aller voir les artistes à Montpellier.
Je ferme l’ordi.

jeudi 27 juin 2019

Les vieux papiers


Prendre son stylo préféré, ouvrir un cahier ligné, acheté il y a un an pour un atelier littéraire.
Je le remplissais pleine d’espoir. Je le remplissais de ma vie d’auteure. Des mots des exercices, des questions, des réponses, des résumés, des billets, des phrases, des pages et des pages sur le futur roman Les têtes dures.
Le cahier n’est pas fini, le livre est publié, mais pas chez l’éditeur que j’espérais.
J'ai rangé toutes les versions dans une boîte au sous-sol.

Depuis mon retour du sud, j’écris moins, je lis très peu.
Pourtant, avoir le goût de
Avoir le besoin viscéral de
Penser à
Hésiter chaque matin
Écrire
C’est toujours là.
Mais publier, rendre public, ne serait-ce qu’un billet de blogue, c’est plus complexe. Ça exige un peu de solitude dans mon cas. Du silence, sauf de la part des oiseaux. Organiser sa pensée, être motivée. Sentir un peu d’intérêt à l’autre bout. Du bout de la lecture, de la part de lecteurs ou lectrices. Pour qui publier sinon? Mais peut-être pas finalement. Juste mettre des mots sur une idée, sur un sentiment, sur un trop-plein. Se retrouver dans le fouillis des jours, dans le bruit des conversations, dans l’agitation des émotions, dans le ménage du printemps.

Il y a quinze jours, je vendais ma maison. Pour profiter d’une offre. J’y habite depuis 47 ans. Et puis, on a beau vouloir vivre le moment présent, il y a des fois où justement, on ne tient pas à vivre le moment présent. Hâte à après. Déjà être dans une maison plus petite, déjà le vide-maison effectué, déjà le déménagement passé. Que la visite soit déjà partie. Que le VR, l’auto ou la maison soient vendus. Il y a des pendant qui font souffrir, qui durent trop longtemps. Déjà retrouver la paix, le silence et mon cahier d’écriture.

Mais voilà, je ne suis pas prête à me restreindre à quatre pièces. Encore besoin d’une «chambre à soi». Je reste, mais je crois qu’un ménage s’impose.

Mais que jeter? Des rapports d’impôt, des états financiers, pas de problème. On fait venir un camion qui offre des services de déchiqueteuse, mais le reste : les écrits inédits de mon père, les papiers des Éditions de la Petite-Nation qui n’existent plus? Et puis les lettres écrites aux ami. e. s les journaux intimes quand j’avais 30, 40 ans.

J’ai l’impression de jeter ma vie.

Je ne me décide pas à jeter une lettre d’Hélène Ouvrard à qui j’avais écrit lors de la parution de son roman L’herbe et le varech (en 1977) et qui m’avait répondu en me parlant de Je me veux, publié chez le même éditeur (Quinze).

Quoi jeter? Qu’est-ce qui a de la valeur? Pour qui?
De quel ordre sont les traces qu’on laisse?
Les miennes seront-elles de vieux papiers jaunis que je ne relis même pas?
Le jour où je m’en irai dans un quatre et demi, qu’emporterai-je vraiment?

Je n’aurai qu’à acheter un nouveau stylo et un cahier ligné tout neuf. 
Juste continuer, le bagage plus léger.

jeudi 9 mai 2019

Entre figuier et pins, le bleu du ciel

Hier, j’ai envoyé à l’imprimeur mes deux fichiers PDF, celui du texte et celui de la couverture de mon roman Héritages-Les têtes dures. Ai-je eu l’impression de sauter dans le vide, dans l’inconnu? Non, mais j’ai fait un pas en avant.

De retour du bleu du sud, j’avais pris ma décision : finie l’attente d’un éditeur, sans pour autant jeter mon manuscrit au fond d’un tiroir. La période sombre, celle du doute et des questions, celle de l’attente, de la recherche d’éditeurs, celle du regard sur les autres livres publiés est derrière moi. Je ne veux pas me définir comme une écrivaine ratée ou déprimée, sans pour autant me croire une auteure géniale.

J’ai fini de rêver, je ne suis pas, ni n’ai jamais voulu être London Sydney Drake dans Le seizième roman de Christine Lamer qui multiplie les circuits promotionnels comme d’autres collectionnent les montres en or. Je ressemble et j’ai toujours voulu ressembler à Réjean Ducharme, Marie-Claire Blais et même le Nathan Fawles, création de Guillaume Musso dans La vie secrète des écrivains : un peu à l’écart de tout le tapage promotionnel.

Je n’ai hésité que sur quelques détails : choisirai-je Bouquinbec avec l’avantage de la publication en numérique, de la visibilité dans des Salons, de la distribution dans quelques librairies ou juste une autoédition (j’ai ressuscité Elleffe de mes premières années de travailleure autonome), avec quelques exemplaires papier, un fichier PDF sans DRM que je mettrai à la disposition de ceux qui préfèrent la version numérique et pas de lancement avec toute l’organisation que ça demande et auquel ne viendraient de toute façon que ces mêmes amis qui ont déjà réservé leur exemplaire?

J’ai eu la chance que Christian Quesnel accepte à nouveau de créer la page couverture, elle sera donc un peu différente de mon premier jet (voir dans la colonne de droite de ce blogue). J’ai revu le montage une dernière fois. Et j’ai plongé. Ce sera une fin "de carrière" toute simple et modeste. Je suis déjà ailleurs.

2019 est une année différente, comme bien des fins de dizaines pour moi. Une année charnière. Entre-deux. Avant, j’étais une travailleure autonome qui voyageait, qui rencontrait des voyageurs comme moi, qui ne pensait qu’à lire et écrire. En 2019, il y eut cet hiver bleu. Quatre mois dans le sud, au même endroit, sans trop bouger. Autour de retraités qui dansent, qui jouent aux cartes, qui font de la moto, du vélo. Qui rient, qui sourient et disent bonjour. Qui montrent les photos de leur famille, qui téléphonent à leurs enfants par Facetime, Messenger. L’apéro en petits groupes. Qui s’entraident, qui parlent de voyages, de plages, de météo bien sûr.

Un gros mois que je suis de retour et je pense à eux et à ce sud chaque jour. Les trois Lise, André, Micheline et Daniel, mes voisins. Où sont-ils? Que font-ils? Hier encore, en regardant la position de mon satellite pour la télévision, je me suis demandé dans quelle direction il était pointé : sud-ouest. Donc, le lac Okeechobee serait du côté de l’école, la grande fenêtre de ma caravane donnerait sur la forêt. Je revois mon grand figuier. En levant les yeux, les grands pins rouges me rappellent que je suis ici, pas là-bas.

Je ne suis plus la même. J’ouvre un livre, je le referme. J’espère seulement une autre journée de ciel bleu. De 16 à 17 heures, je tourne un peu en rond : chez qui pourrais-je aller prendre l’apéro? En un hiver, je suis devenue retraitée. Qui plus est, une snow-bird.

Le cœur un peu tiraillé entre ma solitude bien-aimée du nord et la joyeuse compagnie du sud.

mardi 3 juillet 2018

Tomate rouge contre stylo rouge

Depuis quelques jours, je ne filais pas. La tête vacillante, le matin surtout. L’estomac nerveux, comme une barre qui sépare mon corps en deux. Fatigue. Moins d’énergie. Respiration courte.

Question : suis-je stressée?
Réponse à moi-même : comment pourrais-je l’être, aucune obligation, je reviens d’une belle escapade au bord du fleuve.

Est-ce déjà arrivé? Et qu’ai-je fait?
Réponse à moi-même : oh! que oui! Comment oublier les quatre heures d’attente au CLSC. Et le diagnostic : rien, je n’ai rien, rien aux poumons, rien à l’estomac. Juste anxieuse et insomniaque.

Calme tes ti-nerfs, Claude. Respire. Dors. Mange mieux, mange moins, un peu moins de café, un peu moins de vin.
Arrête de te stresser. Dis à ton petit hamster d’aller jouer dehors. Il va crever sous la chaleur.
Personne ne te demande de finir ta révision de ton manuscrit demain matin. Personne ne te demande de te lever à 6 heures. Rien ne t’oblige à y penser 24 heures sur 24. Et puis, écoute-moi bien: tu ne culpabilises pas. Ça ne veut pas dire que tu abandonnes ni ne renonces. Ni que c'est un échec.

Écrire peut-il rendre malade?
Réponse à moi-même : peut-être pas écrire, mais se stresser, oui.

J’ai donc arrêté de me lever à 6 heures, arrêté de corriger mon roman. Et je lis, je butine, je me baigne, je relis, je joue à Candy crush. Avec les ressentis 40 degrés, je demeure dans la maison climatisée. Je me promène sur Facebook.

Et puis, je suis tombée sur une vidéo d’Irène Grosjean qui parlait de médecine de santé et non de médecine de maladies… et surtout d’alimentation. J’ai lu ceci :
En mangeant de la nourriture morte, nous restons dans des fréquences basses : la peur, l’angoisse, la dépression, la contrariété, le négatif. En mangeant de la nourriture vivante et pleine d’énergie, nous avons accès à des fréquences plus élevées : amour, tolérance, partage, développement de l’intuition et de la clarté.
Au lieu d’accuser le stress de tous mes maux, je vais maintenant accuser mon alimentation.
En fait, je n’accuserai rien ni personne. Je ne vais pas commencer, comme d’habitude, à chercher des faux-fuyants. Ni tergiverser. Juste écouter mon corps, il veut du repos, il veut du calme, il peut se guérir lui-même.

Je ne suis pas plus du genre extrémiste et tout couper : produits laitiers, gluten, mets cuits, et me précipiter sur l’achat d’extracteur à jus. Depuis le temps, je sais ce qui calme mon estomac : range le vinier, oublie le café le midi, sort le pot d’eau, cuisine des salades. Troque les biscuits contre une pomme, un ananas, des noix. Tomate rouge contre stylo rouge.

Et puis, oui, pourquoi pas, laisse tes personnages se débrouiller quelques jours sans toi. Ils t'attendront, tu sais bien. Cesse de les nourrir, eux, et nourris l’auteure. 

P.S. à moi-même : tu vois, après trois jours, ça va déjà mieux.

samedi 25 mars 2017

Liens obsessionnels

Billet que je ne devrais pas publier.
Publier ce billet, c’est avouer que je deviens obsédée, que je deviens plaignarde, que je ne surmonte pas un refus au lieu de me retrousser les manches, encore une fois, et de corriger mon manuscrit.

Pourtant, j’ai recommencé à le corriger, je l’ai imprimé, j’ai acheté un nouveau stylo rouge. Je biffe des paragraphes entiers, je reformule plusieurs phrases. Parfois convaincue de l’améliorer, parfois doutant de la pertinence de mes choix. Sera-t-il meilleur?

Ce qui ne m’empêche pas de râler encore.
Comme une déprime de postpartum qui n’en finit pas, malgré le goût du travail revenu.
Donc je publie tout de même le résultat de ce petit schtroumpf grognon qui n’est jamais bien loin. Juste pour libérer les toxines.

L’obsession me guette. L’idée fixe. La dépendance. Le déséquilibre. Le négativisme.
Si je n’y prends pas garde. Si je ne ventile pas. 
Jeter mes (inutiles) rechignements sur papier m’apporte-t-il un quelconque réconfort? Je dirais que oui. Après avoir craché son venin, le serpent se sent-il soulagé?

Lu ce matin sur Facebook :

Qu’est-ce qu’un auteur devrait écrire dans son blogue?
J’ai accroché sur le verbe « devrait ». Si écrire un blogue est un devoir… En ce qui concerne le mien, ça n’a jamais été et ça ne sera probablement jamais que la seule auteure qui l’écrit.
Sauf peut-être ces mois-ci. 

Ces mois-ci, depuis le refus de la maison d’édition pour la troisième version de mon roman, j’ai bien dû mal à penser à autre chose. En fait, oui, bien sûr, je me demande ce qu’on va manger pour souper, je vais pelleter et passer la souffleuse (eh oui, encore un 25 mars), je joue à Candy Crush, je cherche sur Google maps où je pourrais bien aller camper au mois de mai, mais disons que je ne passe pas une heure sans qu’une phrase, une image ne s’imposent à mon esprit. Je vais à la poste à pied? Tout au long, la tête penchée, je réfléchis, je fais parler mes personnages. Et puis, je me force à lever les yeux à regarder les grands champs encore tout blancs, à lâcher prise, à laisser le vent s’emparer de mes pensées et les diluer vers les montagnes lointaines.

Pourtant, de retour à la maison, je consulte mes blogues préférés, et pas un ne me ramène pas à mon roman.

Lu ce matin sur le blogue Je suis feministe
l’héroïne a l’intuition que sa place est dans la vie publique, avec les femmes en lutte, lorsqu’elle croise une manifestation à laquelle elle aimerait participer, mais voilà, il y a les enfants à aller chercher, le souper à préparer… Son mari fait semblant de la comprendre, mais la traite en femme. 
Ta maison est en feu de Margaret Laurence
Je n’ai pas aussitôt terminé le billet que je me précipite sur le site de la BANQ/prêtnumerique. Je lis l’extrait du livre. 
À qui je pense bien sûr : à mon personnage, Mireille. À accentuer, approfondir son rôle de mère. 

Mon « je » est auteure à l’affût 24 heures sur 24. Même quand ce « je » semble occupée à autre chose, l’auteure n’est jamais bien loin.
Surtout quand elle lit : que ce soit les blogues, Facebook, un journal et le pire, un roman ou des extraits de romans. 

Lu également Chez le fil rouge
Dans ce sublime petit ouvrage, l’auteure à la prose délicate et imagée nous ouvre les portes de tous ses petits cabinets d’écriture et nous confie des passages de ces batailles incessantes menées au cours de sa vie d’écrivaine avec ce lion, cette grande bête obstinée, son roman, son écriture.
Le « petit ouvrage » dont il est question, c’est En vivant, en écrivant d’Annie Dillard. Comme toujours, tout de suite, j’ai été voir s’il était disponible en numérique. Eh non. Ça attendra. 
Le pourquoi ou le comment ou toutes les questions d’ailleurs que se posent d’autres écrivains m’interpellent bien sûr. Mais toutes leurs réponses ne m’intéressent pas. Il faut que je m’identifie un peu. Elles me laissent rarement indifférente : soit j’apprends et ça me donne des ailes. Soit j’apprends, je m’interroge et ça me jette par terre de doutes. 

Comme dans Histoires de s’entendre de Suzanne Jacob 
L’urgence et la patience de Philippe Toussaint 
Questions d’écriture de Jean-Jacques Pelletier 
Le très compliqué Si une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino. 
Et, peut-être à venir : En vivant, en écrivant d’Annie Dillard.

Lu aussi le début du roman Les égarés de Lauri Lansens dont j’avais bien aimé Les filles.

Et dès le début, je remarque le peu de transitions entre les chapitres. Ça ne me dérange pas, mon cerveau sait enchaîner. Mais je me dis « pourquoi elle et pas moi ». Pourquoi à moi, on a reproché le manque de transitions ou le manque de diversité dans les transitions? Pourquoi il en faut dans mon roman et pas dans le sien? » 
Je connais la réponse bien sûr : une seule remarque et même toutes les remarques pour refuser un manuscrit n’expliquent pas tout. Quand bien même je corrigerais, quand bien même je répondrais à toutes les interrogations, ça ne m’assure pas d’une publication. Je sais bien, mais le schtroumpf grognon, lui, c’est dans sa nature de râler.

Vais-je un jour lire un roman sans comparer avec les miens? Sans faire de liens avec les miens?
Sûrement. Quand le dernier sera publié!

Si vous êtes las de lire mes interminables litanies… avec le printemps qui vient, il y a de l’espoir. La voyageuse prendra peut-être, enfin, la relève. 
Quoique la voyageuse aussi pourrait voir le prix exorbitant de certains campings ou être découragée devant les emplacements réservés des mois à l’avance, qui lui laisse croire qu’à son arrivée, il n’y aura pas d’emplacements disponibles dans ses campings préférés.

Et vous, quels liens fait votre cerveau entre ce que vous lisez et ce que vous vivez?

jeudi 16 février 2017

Carnet du roman (10)
ou la poule pas de tête qui court en tout sens

5 février: réception de la lettre de refus.

8 février: billet de blogue résumant la situation et mes impressions.

9 février: au réveil, quelques phrases me trottent dans la tête. Dans la journée, j’écris quelques lignes. Au Je et au présent. 
Je m’appelle Dominique Bricault, je viens tout juste d’avoir treize ans et je n’aime plus ma mère, je déteste mon frère, et je me méfie de mon père. Et comme ma vie tourne autour d’eux, je fais tout pour sortir de la maison le plus souvent possible. Je cours dans les côtes de Lévis. Je pédale dans les rues de Lauzon. Je n’ai même pas d’amies. Comment pourrais-je en avoir, on passe notre temps à déménager. Je suis en huitième année au couvent Notre-Dame-de-toute-Grâce. Et c’est ma dixième école. Oui, c’est possible : maternelle et déménagement en cinquième année, donc deux écoles la même année.
J’ai arrêté là. Il y aura beaucoup trop de « je », mais surtout comment le personnage de la fille pourra-t-il savoir ce qui se passe dans la tête de sa mère? Oui, ça fait plus direct, plus fort, le lecteur s’identifiera plus facilement, pas certaine. 
Qui de la mère ou de la fille, devrais-je sacrifier? Et puis ça fait journal d’ado, ce qui ne donne pas le but du livre. 
Je ne suis pas prête.

10 février: M’appliquer à dresser la liste de ce que j’aurais à surveiller dans chaque chapitre : les cinq sens, les émotions, résoudre un problème et en présenter aussitôt un autre. Pourtant déjà fait lors de la dernière version. Prendre des notes. Peut-être ne pas corriger ou ajouter tout de suite. Juste noter.
Mais ai-je assez de recul pour trouver les faiblesses? 
J’essaie de lire autre chose, je ne peux pas. N’y trouve aucun plaisir. C’est mon œil d’auteur qui lit, qui cherche. Et c’est mon petit cœur envieux qui se dit : « qu’est-ce qu’il a de plus que le mien ce roman pour avoir été publié? ». Ou il est complètement abattu, admiratif : « je suis nulle ».
Je ne suis pas prête.

11 février: Et si, au lieu de laisser le lecteur trouver les liens avec les deux tomes précédents comme je le voulais d’abord, si je les nommais clairement? Nommer les fantômes. Mieux encore, les faire vivre. Identifier l’héritage des ancêtres. Quête de parenté. Ça aurait le mérite d’être un peu plus original et intéressant. Pourtant, il ne faut pas tout dire. Il faut laisser l’interprétation à chaque lecteur. Retour case départ. 

Et je vois venir le Salon du livre de l’Outaouais. Irais-je? Comme auteure, j’ai dit non, pas cette année, mais en tant que visiteuse? Aller voir Suzanne Aubry qui vient de faire paraître « Je est une autre »? Acheter quelques trouvailles? Aller saluer mes confrères et consœurs de l’Association des auteurs et auteures de l’Outaouais? Passer devant le stand de l'éditeur? Me faire demander : « et puis ton roman, il s’en vient? » Le cœur sur le bout des lèvres, saurais-je retenir mes larmes? Sujet trop sensible encore, je ne suis pas prête.

12 février: Ai reçu mes redevances pour l’année 2016. Très heureuse du montant qui n’atteint pourtant pas le mille. Heureuse aussi de voir que je ne pas vendu qu’à des amis ou des connaissances puisque quelques centaines en librairie et numérique. Une question pourtant : est-ce que cette comptabilité a influencé la décision du comité de lecture de refuser le roman? Pour eux, peut-être pas suffisant? Et me l’aurait-on dit si c’était le cas? 
Et à la fin du mois, un autre chèque sera dans ma case postale, celui du programme du droit de prêt public (DPP). Ce qui donne une existence à mes écrits. Pas une reconnaissance, pas une valeur, mais une existence.
Le Conseil des arts du Canada verse des paiements annuels aux auteurs canadiens dans le cadre de son Programme du droit de prêt public, à titre de compensations pour l’accès public gratuit à leurs livres dans les bibliothèques publiques du Canada.
15 février: Dix jours déjà. Et toujours cette impression de comprendre tout à fait l’expression « une poule pas de tête ». Devant l’écran, une dizaine d’onglets ouverts. Je sautille de l’un à l’autre. D’un article de journal à un blogue. D’une mention d’un livre à Babelio à la BANQ pour feuilleter un extrait. Comme si je cherchais comment réussir à construire cette intrigue enlevante que réclame l’éditeur. Comme si je faisais une dégustation à l’aveugle tout en me demandant quel goût devrait avoir mon roman ou quelle épice il lui manque. Je m’attarde à L’urgence et la patience de Jean-Philippe Toussaint. Je sens encore l’urgence, mais je n’ai plus la patience. Peut-être que contrairement à Toussaint qui a écrit ce qui tourne autour de ses livres : le début de l’écriture, les lieux, les théories, peut-être écrirai-je sur la fin de l’écriture de roman. Non pas le désespoir, le découragement, mais seulement la lucidité. Venue en petites vagues. 

Je ne me regarde pas couler. Juste nager vers un rivage tranquille. Une poule qui court tout sens, en s’accrochant dans les fleurs du tapis.
Je flâne du côté du Camp littéraire Félix. Me trouver un mentor ou une motivatrice. Une personne qui met le doigt sur le bobo. « C’est là, juste là » Qui ramasse mes plumes, qui m’aide à retrouver ma tête, qui calme la tempête et me montre le un chemin. 

Je suis à côté du roman. Comme le journal du roman. Le carnet de notes du roman. Ce qui tourne autour, mais pas encore dedans. À chercher la recette parce que quelqu’un m’a dit que le gâteau était raté, n’avait pas assez bon goût. 
Je ne réécris que le début. Pour voir. Pour écouter. Pour trouver un autre angle, une autre perspective comme il m’a été suggéré dans la lettre. Et quand je pense avoir trouvé, ça ne dure que quelques lignes. Je bute déjà. 
Sur le sentier gravillonné, la poule-pas-de-tête, qui éparpille ses plumes sur tous les coins de murets sur lesquels elle se bute, a tout de même trouvé ce livre : Journal désespéré d’un écrivain raté de Mary Dollinger qui a tenu un blogue pendant quatre ans. 

Plus fouineuse que studieuse, plus lièvre que tortue, je pourrais peut-être écrire le « blogue de l’écrivain qui aurait dû se contenter de lire ». 

Ne vous inquiétez pas, c’est mon genre d’humour, d’autodérision pour aller au bout ou au fond en attendant de retrouver ma tête… non pas de poule, mais de cochon!

lundi 16 janvier 2017

Qui parle? Qui écrit?

Dans les années '80, le programme du cours de français en secondaire 1 et 2 se résumait à Parler, 
écouter, écrire, lire. Je crois bien que quarante-cinq ans plus tard, j’ai encore beaucoup à apprendre de ces quatre verbes.

J’ai toujours su que j’avais plus de facilité à écrire qu’à parler. Autant à lire qu'à écouter. Plus de facilité, aussi, à parler devant cinquante personnes plutôt que deux. Dans les trois cas pourtant, on utilise des mots, on emploie des phrases, on veut exprimer quelque chose. En ce qui me concerne, par écrit, je contrôle mes émotions, je les dirige, je les retiens, je les tais, je les explique rationnellement. En paroles, devant cinquante personnes, ça reste impersonnel. Souvent, j’ai écrit et travaillé mon texte, mon cours, ma conférence, avant de me présenter devant le public. Mais devant une ou deux personnes, que je les connaisse ou non, comme ça, à chaud ou à froid, je ne contrôle plus rien, ça ne sort pas toujours comme je m’y attends ou comme je le voudrais. Et pas seulement parce qu’il y a quelqu’un en face de moi qui écoute, ou n’écoute pas. Ou peut-être justement parce qu’il y a quelqu’un qui me regarde, qui attend, qui réagit, qui interrompt ou pas. Et l’émotion tapie dans l’ombre s’invite, se pointe, sort de je ne sais où et me voilà, parfois, presque en larmes, étouffant, hoquetant. Du mal à respirer. M’empêtrant dans ces phrases et ces mots que je croyais maîtriser. 

Exemple concret
Par courriel, il y a plus d’un an, j’ai fait une suggestion à un organisme. On me demande d’aller présenter l’idée. Je veux bien. J’ai cru que ça s’arrêterait là. Je retournerais à ma petite vie tranquille, là où je suis bonne et bien. Dans la solitude et le silence. Faire ce qui me tentait. Et seulement ça. 

Après la présentation, il y eut d’autres rencontres pour le développement, l’organisation, les discussions, les sous-comités, les décisions. Certes, je n’étais pas seule, mais je me suis sentie responsable. Je forçais mon enthousiasme. À chaque réunion pourtant, mon malaise augmentait. Je me sentais dépassée. Je me suis cru capable d’en prendre. Capable d’être qui ne je ne suis pas. J’ai fait ce que j’ai pu. J’ai aidé dans la mesure de mes compétences.

Et puis, une nouvelle personne s’est présentée. Je suis devenue la fille québécoise tout à fait typique qui, selon les Français, ne sait pas débattre et évite les confrontations intellectuelles. Pendant des années je me suis cru lâche, mais je sais maintenant que je préfère tout simplement le conformisme rassurant à l’affrontement où j’ai toujours l’impression d’être perdante. J’ai la parole facile, mais l’argumentation brève.

C’était la goutte qui a fait resurgir la petite voix : « ôte-toi delà, tu n’es pas à ta place, tu n’es pas bien, tu stresses, tu as essayé plusieurs fois dans ta vie et chaque fois le stress t’a rendu malade, anxieuse. Tu n’as pas à dire oui juste parce qu’on te le demande. Tu n’as pas à être qui tu n’es pas. Tu n’as plus rien à prouver. »

Quelques jours plus tard, après avoir résumé mon choix en dix lignes écrites, je les ai relues, je signifiais au groupe, par courriel, que je me retirais. J’ai recommencé à mieux respirer, à mieux dormir, malgré un peu de culpabilité et une vague impression d’abandonner des compagnons d’armes. 

Et puis, étonnant ce cerveau qui croit avoir tout réglé en écrivant quelques mots sur un ton sûr et distancié alors qu’il est seul avec lui-même, dans le silence et la beauté lumineuse d’un matin d’hiver. Étonnant puisqu’un mois après ma défection par écrit, dans un autre groupe qui n’a pas de lien avec l’événement, j’entends : « tu viens à la prochaine réunion? » Petit choc, je croyais avoir été claire. Je n’avais qu’à répéter ce que j’avais écrit, mais c’était sans compter justement les détours nébuleux de notre cerveau ou plutôt de nos émotions. La gorge encore enrouée d’un rhume qui s’éternisait, l’émotion a monté, les associations d’idées se sont entremêlées, un souvenir a resurgi, qui me rappelait un événement en rapport avec mon père. En rapport avec mon autonomie. La figure du père est revenue poser la question que je croyais réglée : qui suis-je? Suis-je moi ou la fille que mon père veut que je sois?

Il y a vingt ans, mon père m’a demandé de devenir présidente d’une maison d’édition. De prendre la relève, de continuer ce qu’il avait entrepris. J’étais déjà la technicienne, la monteuse des livres, la graphiste. J’étais et je suis encore à l’aise à exécuter, mais pas diriger. Je suis les bras, pas la tête. Il rêvait que je devienne la présidente, la responsable, celle qui devait choisir les prochaines publications… et celle qui allait dire non aux auteurs. Après plusieurs semaines de réflexion sur mes forces et mes talents, et des nuits de tiraillements entre le désir de plaire à mon père, de répondre à ses attentes, à ses rêves et le déploiement de mes propres forces, talents et compétences, j’ai dit non. 

Mon père cacha mal sa déception, mais respecta mon choix. Soulagement. J’ai poursuivi ma route, joyeuse et certaine d’avoir pris la bonne décision.

Vingt ans plus tard, c’est cette vision de mon père que j’ai eue en disant, une fois encore, non à un rôle pour lequel je me sens incompétente. 

Pourquoi la vision revient-elle pendant que j’en parle alors qu’elle ne s’est pas imposée alors que j’écrivais mon retrait du groupe? Quelle est donc cette puissance de la parole improvisée versus le contrôle de l’écrit? Est-ce pour épargner les autres que je préfère l’écrit contrôlé à l’oral improvisé? Qui parle et qui écrit derrière les mots qui ont pourtant l’air d’être semblables?

Et question d’une supposément auteure : et si ce n’est qu’en parlant que les émotions se manifestent chez moi, comment croire que je réussis à les écrire dans un roman?

mercredi 1 juin 2016

Carnet du roman (6)

Démotivée
Noir
Pluie
Moitié vide
Clichés
Ne plus croire en moi 

Au moment où le moral flanche...
Quand je lis que Le livre des Baltimore de Joël Dicker est mal écrit, mais publié à 280,000 exemplaires. Si le sien est mal écrit, que sera le mien! 
Quand je repense à La femme qui fuit, je sais que je ne parviendrai jamais à ce concerto des mots, ce crescendo puissant.

Je devrais cesser de lire pendant que j’écris. Pendant que je réécris. Peut-être devrai-je cesser d’écrire!

Quand je trouve l’histoire de mon manuscrit bien ennuyeuse, sans rebondissements, sans grand drame. Et le style n’est justement que des clichés. Pas de poésie, pas de force, Pas de puissance. Je redoublerais la cinquième secondaire avec un style pareil! 
Quand je ne vois pas le jour où il sera prêt à être présenté à l’éditeur. Qui m’encourage mais ne peut rien me promettre. 
Que je jure que c’est le dernier, j’ai mieux à faire.

À ce moment, ce même éditeur m’envoie la photo ci-contre. Les livres de Vents d’ouest en offensive à la Librairie Réflexion des Galeries de Hull.
De plus, un réviseur d’un bulletin que je monte, et pour lequel je me permets quelques suggestions de révision, écrit : « Notre graphiste est formidable. Prenons-en soin. » 

Mon roman n’est peut-être pas meilleur, sûrement pas, mais 
Le courage revient
Le noir se grisonne 
Les nuages se dissipent
Le verre se remplit
Les trouvailles suivront bien.
Ne pas compter sur la confiance, seulement la persévérance

Mais tout de même, je le jure, c’est le dernier.

Je me contenterai de mon blogue qu’il soit imparfait, où se glissent quelques fautes, mais dont le rythme de parution me convient, le nombre de mots me satisfait, et où je peux m’exprimer, même si ce sont des platitudes, je n’ai pas à suivre de règles. Que les miennes.

(Mise à jour le 3 juin: aucun commentaire ici, mais 56 "réactions" sur Facebook où je n'ai publié que la photo et le lien vers ce billet, un record dans mon cas. Certains croient que c'est une nouvelle publication, mais qu'importe mon livre est vu donc il existe et par le fait même l'auteure aussi.)

samedi 14 mai 2016

Écrire ou laver la vaisselle

Et Holly pensa alors : je dois écrire avant que cela ne m’échappe. Elle avait déjà ressenti ça plus jeune — l’envie presque paniquée d’écrire à propos d’une chose qu’elle avait entraperçue, de la fixer sur une page avant qu’elle ne file à nouveau. 
Esprit d’hiver, Laura Kasischke


Je me suis dit que j’allais écrire sur l’insignifiant, le petit, même si c’est ennuyeux, même si ça n’est pas digne d’être raconté. Souvent, les écrivains fabriquent une imitation de la vie en partant d’un point de vue philosophique. J’ai fait l’inverse.
Les tâches domestiques, cet ennuyeux travail de femme, le frustrent, lui qui voudrait consacrer ses journées à écrire une grande œuvre. Mais il ne faut pas dire ces choses-là.

Citation de Karl Ove Knausgaard, paru dans Bibliobs, chronique de David Caviglioli 

Écrire plutôt que les tâches domestiques, le lavage de la vaisselle par exemple, je connais.

Se lever au beau milieu de la nuit parce qu’on ne dort plus, hantée par cette phrase à écrire, par cette phrase qu’on a peur d’oublier, qu’on trouve importante et même parfois géniale, je connais. Et même si on sait qu’elle ne le sera probablement plus au matin, elle nous tient éveillée.

Écrire pour écrire, sans structure, sans étiquette de roman ou nouvelle ou chronique ou billet. Juste enchaîner les associations d’idées. Noter tout ce qu’on fait, tout ce à quoi on pense. Avoir un crayon dans la main plutôt qu’une voix qui peut parler, je voudrais.

Lire aussi au lieu de laver la vaisselle. Lire tout le temps. Et écrire sur ses lectures.

Je suis contente de vivre la période présente. Dans les années '80, j’étais récalcitrante à cette technologie nouvelle : l’ordinateur qui nous restreignait à la position assise et nous privait d’utiliser l’exacto, instrument que je maniais comme un chirurgien esthéticien.

Pourtant, dès que j’ai pu, j’ai troqué la machine à écrire contre un Commodore, puis un Tandy, un IBM jusqu’au portable.

Et quand vint l’Internet, je n’ai eu de cesse de m’informer sur la possibilité de l’obtenir chez nous, dans ma petite campagne éloignée, de harceler Télébec pour obtenir un modem et un service de qualité. 

Avant Internet, je connaissais quelques noms d’écrivains vus sur les couvertures de livres de la bibliothèque familiale. Je me faisais un devoir de lire les auteurs québécois. 

Je ne sentais pas le besoin de les rencontrer, de leur parler. Dans les Salons du livre ou des rencontres organisées, les rares fois où j’y suis allée, ça ne m’intéressait pas de faire la ligne pour leur dire quelques banalités. Je préfère les livres aux auteurs. C’est en lisant ce qu’ils écrivent, c’est en étant émue, touchée, dérangée par leurs écrits, c’est à travers leurs histoires que j’ai l’impression d’entrer en relation avec eux. Qu’ils m'offrent ce meilleur d’eux-mêmes que j’accueille avec respect et admiration, tout comme je donne le meilleur de moi-même quand j’écris, beaucoup plus que si j’ouvre la bouche pour dire des fadaises.

Mais là, maintenant, en 2016, avec Internet, sur Facebook entre autres ou dans un blogue s’ils en ont un, je peux les observer, les découvrir, lire leurs billets, leurs messages, leurs commentaires, leurs opinions. Entrer dans leur univers. Sans obligation d’intervenir. Et le temps que je veux. Et sans attendre dans une file. Sans gêne. Ou interagir, m’immiscer dans leurs conversations. Aussi souvent que m'en vient l'envie.

Qui aurait cru que je « parlerais » à Élise Turcotte, Paule Baillargeon, Lynda Dion, Louise Dupré, Mylène Gilbert-Dumas et quelques autres, plusieurs autres. 

Je me sens presque des leurs. Parce que je pense souvent comme elles (je dis elles parce que dans les ci-nommées, il n’y a que des elles). 

C’est à la suite d’une citation de Karl Ove Knausgaard, notée par Élise Turcotte sur Facebook que j’ai pris connaissance de quelques noms d’écrivains dont j’ignorais tout cinq minutes avant. Et, comme à mon habitude, j’ai aussitôt ouvert deux autres onglets, celui de la BANQ/pretnumerique et celui de ma librairie indépendante préférée pour voir si un de ces romans pourrait m’intéresser. J’ai eu la chance de pouvoir emprunter Esprit d’hiver de Laura Kesischke que j'ai entamé aussitôt. Quant à la brique de Karl Ove Knausgaard, j’ai feuilleté Un homme amoureux, mais prendrai-je le temps de lire cette énorme autobiographie?

Parce qu’après tout, il y a aussi la vaisselle à laver!

Mais tout de même, j’ai tenu à l’écrire d'abord.

mardi 23 février 2016

Route glissante

Mon père a écrit près d’une centaine d’ouvrages, de la plaquette à quelques romans. Dont un lui a valu le prix Jean-Béraud Molson en 1979. La famille a fondé une petite maison d’édition qui a bénéficié de subventions pendant quelques années. J’écris, j’ai essuyé bien des refus, mais certains de mes livres sont publiés. Est-ce que je connais le monde du livre pour autant? Plus que d’autres, mais pas tout. Je ne sais rien par exemple de la traduction, des droits d’adaptation. Pas grand-chose sur les organismes et les subventions. Et à part pouvoir en nommer quelques-uns, je ne sais absolument pas comment sont attribués les prix littéraires.

Je ne peux donc pas émettre d’opinion sur ces sujets. Même pas perdre mon temps à essayer de les comprendre, à quoi bon m’aventurer sur cette route subtile. Alors juste dire mon ressenti. Juste me poser des questions. Au sujet du destin.

Au moment même où j’écris la suite et fin des Têtes rousses et des Têtes bouclées dans lesquels, dès le début, j’ai voulu interroger le destin, voilà qu’il vient encore me tracasser. Des associations d’idées, des coïncidences questionnables.

Les têtes bouclées n’ont remporté ni le prix Jacques-Poirier ni le prix littéraire Le Droit. Hier encore, j’ai compris qu’une nouvelle que j’avais même oublié avoir écrite ne gagnait pas non plus un des trois prix accordés. Tous des prix décernés en Outaouais. Pas au Québec, pas au Canada ou dans le monde entier, juste en Outaouais où je demeure, et mes écrits n’y sont pas retenus. Où le seront-ils? J’aurais aimé. Qui n’aimerait pas? Je suis heureuse pour les gagnant-e-s.

Bon, pas grave, la vie continue. Le Salon du livre bientôt. Où je devrais être à l’aise puisque des gens, comme moi, qui aiment écrire et lire. Des sujets qui m’intéressent. Le seul où je vais. Et voilà que la température annoncée me fait hésiter : neige, pluie, verglas. Est-ce que je vais risquer ma vie en roulant 75 minutes à l’aller et 75 minutes au retour pour un vingt-cinq minutes de jasette sur l’univers livresque? Du coup me revient l’année 2012 en tête : deux semaines avant le Salon du livre où je voulais lancer Les têtes rousses, l’oncologue me disait qu’il valait mieux commencer mes traitements de chimiothérapie au plus tôt. Exit le Salon de 2012. 

Ai-je un mauvais karma avec les Salons du livre? Avec les routes difficiles, les vraies comme les symboliques? 

Pas plus important que ça, mais la confiance en moi est ébranlée. Facilement ébranlée me direz-vous. Eh oui! Je suis ainsi faite. La confiance ne s’achète pas au magasin, mais elle peut être ravivée avec un peu de reconnaissance. Ou des routes sèches. 

Et puis, le destin, encore? Arriva un courriel. Un tout petit, anodin. Une ligne. Cinq mots : Inscription des têtes qui frisent.

L’espoir, la reconnaissance ne font pas le talent ni le mérite, mais ils peuvent encourager au travail. 

Cinq mots ont suffi pour me montrer la route à suivre : celle du travail et du plaisir d'écrire. La seule sûre.

samedi 6 février 2016

Katherine Pancol a bien raison

Quelle obsession quand on écrit!
On devient fantôme dans sa propre vie. Le quotidien est blanc, flou, vague, la version couleur est ailleurs. Dans le monde imaginaire qu’on construit.
Katherine Pancol,
dans son blablablog

16 heures, je lis, livre papier pour que mes yeux ne soient pas rivés sur des écrans douze heures par jour. Mais en lisant, des phrases s’interposent. Je me lève et j’écris.

4 heures du matin, je me réveille. Et arrivent, pressés de ne pas se faire oublier, mes personnages. As-tu pensé au nom de mon chien dit l’une. Et comment tu fais pour meubler deux maisons, me rappelle l’autre. La petite voix de la dormeuse essaie de les faire taire : Om Namah Shiva, Om Namah Siva. Respiration, expiration, bâillement. 

Pourtant l’autre, tout le jour, elle mange, elle sort, elle pellette, elle marche, elle jase, mais comme simple passagère. Derrière la façade, la conductrice, elle, manœuvre et rame ailleurs.

dimanche 10 janvier 2016

Carnet du prochain roman (4)


Certains jours, la petite musique ne joue que des notes dissonantes.

Certaines heures, la tête écrit plus que le cœur. Les tripes que tout le monde veut nous voir mettre sur la table étaient probablement indisposées. Comme si l’humain vivait vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur un air endiablé et le cœur battant! Dans nos histoires, il faut laisser souffler le lecteur aussi, lui non plus ne peut pas soutenir — comme à ses 18 ans — le rythme de sensations fortes tout au long de sa lecture.

Tout un art ou une science ou au moins tout un travail que de mettre ses tripes sur la table et qu’au final, le plat soit bien cuisiné, bien équilibré et non pas une simple coupe de boucher — la meilleure soit-elle — simplement cuite dans un poêlon.

Aujourd’hui était un jour de boucherie, de cacophonie. 

Je devais avoir l’esprit ailleurs. Dans ma vie. Parce que je n’arrête pas de vivre pour écrire. Et même bien concentrée, même si je ne regarde pas le temps qu’il fait dehors, que je ne pense pas à la brassée de lavage que je devrais faire, le téléphone sonne parfois, une amie peut avoir besoin de mon écoute. 

J’ai essayé de lire de bons textes pour me remettre sur la bonne voie. Mais les bons textes ont leur propre musique, leurs propres saveurs. J’ai lu quelques pages de Wildwood de Johanne Seymour à qui j’envie son parcours de scénariste et de réalisatrice parce que je suis certaine que ce qu’elle a appris lui sert aujourd’hui à rendre son histoire mieux structurée. Alors que moi je peine chaque jour, à chaque chapitre pour que le tout soit un beau concerto, un bon mijoté. Le fait que dans ce roman paru en 2014, il soit question d’une adolescente québécoise qui vit dans les années 1968 m’a un peu troublée. Québec – 1968 – adolescence : comme dans mon prochain roman. Pendant quelques minutes, j’ai paniqué, comme j’avais un peu paniqué devant Fanette qui venait de l’Irlande. Mais aujourd’hui, je me raisonne plus rapidement : ce n’est pas parce que le sujet a déjà été traité que je ne peux pas jouer dans les mêmes plates-bandes. De toute façon, tous les sujets ne l’ont-ils pas été, tout le monde aborde les mêmes thèmes : la vie, l’amour, la mort, la jeunesse, l’âge mûr. S’il y a une époque dont les Français sont friands, c’est la Deuxième guerre mondiale et ça n’empêche pas les écrivains d’y ajouter leur version personnelle encore aujourd’hui. 

Sans prétention, j’ai donc relu quelques pages des Têtes bouclées et des Têtes rousses pour retrouver ma propre petite musique et marcher dans mon propre et unique sillon. 

Aujourd’hui est un autre jour. Écoutons pour voir si ce sera Wagner ou Chopin. Led Zeppelin ou les Beatles, Charlebois ou Vigneault.

vendredi 18 septembre 2015

Verbes d'aujourd'hui

Tenir un carnet pour Les têtes dures (titre provisoire pour le tome trois de ma saga irlandaise qui est de moins en moins irlandaise). Ce matin, page 71, réaliser qu’il reste encore des phrases au «je» du premier manuscrit. Réaliser qu’il me faudrait revoir le plan, le scénario. Être certaine du métier de chacun, des lieux de résidence, même si j’ai décidé il y a quelques mois que ça sera passerait en partie dans ma Petite-Nation bien aimée que je connais depuis 1956 et où j’habite depuis 1970.

Imprimer ce plan, pour mieux travailler et ne pas avoir à rouvrir le fichier chaque fois que je reprends l’écriture. 

Être plus assidue pour ne pas perdre le fil.

Recevoir le même jour deux bons livres numériques :
Marie-Hélène au mois de mars de Maxime-Olivier Moutier
Le parfum de la tubéreuse d’Élise Turcotte.

N’avoir que trois semaines pour les lire, sans possibilité de prolonger comme dans nos bibliothèques des versions papier.

Et après avoir commencé la lecture du Moutier où il est question de folie, d’internement, penser à revenir sur le personnage d’Andréanne dans le tome trois. La sortir de l’hôpital. Réfléchir à ce que sa sœur en pensera, comment elle réagira. Prendre des notes sur ma tablette parce que je suis dehors, parce qu’il fait beau. Si beau pour un 18 septembre. 

Où je lisais début septembre, j'aimerais bien y être encore.
Rentrer pour répondre à un courriel de Ma-tv Outaouais qui demande la couverture des Têtes bouclées.

Comprendre que dans les semaines qui viennent, je devrai être bien concentrée si je veux réussir à écrire dans les moments libres. Oublier cette idée d’aller camper pour être seule avec mon manuscrit. L’heure est à la promotion des Têtes bouclées. Rester ouverte aux offres régionales. S’il en vient.

Et pour l’instant, aller me laver et me changer pour aller à un souper entre amies. Agréable moment à venir.

Ne rien manquer. 

Tout vouloir. Et pas seulement lire ou écrire.

lundi 15 juin 2015

Lire et écrire par intermittence

Lire une histoire ou l’écrire par intermittence, pas une très bonne idée. Mais qui peut s’offrir des heures, des jours, des semaines consécutives pour ne pas perdre le fil d'une histoire, pour se retrouver dans les méandres de la mémoire.

Je lis Survivre! Survivre! de Michel Tremblay. Il publie peut-être un livre par année, mais je ne les lis pas dans l’ordre. Et pas la même année, forcément. J’en suis au huitième d’une série de neuf de la diaspora des Desrosiers, dont je n’ai lu que les trois premiers.

La Traversée du continent
La Traversée de la ville
La Traversée des sentiments
Le Passage obligé
La Grande mêlée
Au hasard la chance
Les clefs du Paradise
Survivre! Survivre!
La Traversée du malheur

(à paraître)

Sans compter que certains de ses personnages remontent à ses premiers romans comme La grosse femme d’à côté est enceinte publié en 1978 et que je me suis résolue à me procurer en 1990 seulement.

J’aurais aimé un tableau des personnages, comme le font les Michel David, Jean-Pierre Charland ou Michel Langlois. J’avais déjà remarqué que Léméac avait publié un dictionnaire des personnages. Un dictionnaire de 800 pages! Ce n’est pas rien. Je peux bien ne plus me souvenir de qui est qui. Nana, Édouard, les trois soeurs, ça va, mais qui est la mère, le fils, le mari? Complètement perdue. Quant aux transitions entre les chapitres, n'y comptez pas.

N’empêche, Tremblay a ce talent d’écrire des histoires suffisamment intéressantes en elles-mêmes que, même si on ne connait pas tout le passé de chacun des personnages, on lit avec plaisir. C’est le cas ce Survivre! Survivre! 

J’aimerais bien, à l’instar de Dany Laferrière dans Journal d’un écrivain en pyjama, expliquer ce que je trouve dans mes lectures, comme lui a trouvé que Tolstoï savait créer des malaises dans les dialogues. Je ne réussis pas, comme Laferrière, à mettre des mots sur des impressions furtives. Je sais que j’aime, je sais que la lecture m’inspire, me donne envie de raconter à mon tour ou surtout de donner des émotions à mes personnages, mais je ne pourrais pas, comme les critiques (en reste-t-il de cette race? S’est-elle éteinte avec Réginald Martel?) ou les étudiants à la maîtrise à analyser un contenu. J’y vais à l’impression, au ressenti.

Ce qui m’amène à comparer… non, non pas comparer, disons à sauter de la lecture d’un roman à l’écrire du prochain mien. Pas le prochain qui sera publié en septembre, non l’autre, le suivant qui n’en est qu’à une centaine de pages bien éparses, à peine un premier jet. Et comme les personnages, eux aussi, existent déjà dans deux autres précédents romans, reprendre l’histoire après quelques mois de vagabondages ici et là dans d’autres univers, ce n’est pas évident. Il faudrait que je m’enferme plusieurs semaines, que je relise ces cent pages, que je me réapproprie l’histoire, que je consulte mon plan qui ressemble tout au plus à une table des matières avec dates et titre un peu longuet d'une vingtaine de chapitres inachevés. Si les personnages ne sont jamais bien en loin dans ma tête, s’ils m’accompagnent partout où je vais, si par association d’idées, ils me chuchotent parfois des scènes et même des dialogues, les scènes, elles, l’évolution de l’histoire, les détails sont loin de me revenir comme ça, sur commande, rien que parce que j’ai un avant-midi à leur consacrer. Même question qu’au début au sujet de la lecture : qui peut s'offrir des semaines consécutives pour ne pas perdre le fil? J’admire d’autant les auteurs qui volent des minutes et des heures à un travail autre ou même à leurs obligations familiales ou domestiques pour coucher sur papier ce qui se faufile dans leur tête. Mon horaire ne ressemble plus du tout à ce temps (non, pas béni, ni joyeux, ni perdu tout de même) où j’étais écolière quand tout ce que j’avais à faire c’était d’écouter, écrire, lire de 8 heures à 15 heures.

Sur ce, le temps alloué à mon roman s’est soldé par ce billet de blogue. Procrastination? Oui, probablement. Exercice de réchauffement? Pas vraiment. Et puis après? Me faudra-t-il la lecture d'un ou plusieurs autres Tremblay pour me faire plonger, pour vrai cette fois, dans l’écriture de mon roman? Il est certain que je n’ai pas le rythme de l'auteur prolifique : un roman par année. J’ai le mien et ça me va!

samedi 16 mai 2015

Lire ce qui donne envie d'écrire

Il y a les livres que tu lis par curiosité. Tu en as entendu parler, ou il a gagné un prix. Parfois tu ne le finis pas, par manque d’intérêt, il ne te dit rien, tu ne t’identifies à aucun personnage. Même si c’est un roman québécois.

Il y a ceux que tu as lus quand tu étais à l’école. Tu étais en réaction. Il fallait que tu le lises pour en parler, en faire une dissertation. Avec des fiches avant. Des livres que tu aurais pu aimer si on ne te les avait pas imposés. Rebelle à toute suggestion, sauf celles qui venaient de ta mère. Et encore, tu ne lui disais pas que tu avais aimé Les mémoires d’une jeune fille rangée. Que tu avais relu trois fois Donner ou le journal d’Anne-Marie.

Il y a des romans que tu as lus deux fois et que tu relirais encore. Par pur romantisme, comme les Daphné Du Maurier. Pas les polars, tu n’as plus le goût, ils ne t’apportent rien, tu ne sens plus rien, pas même de la curiosité, pas même du divertissement.

Les romans que tu préfères maintenant sont ceux qui te donnent envie d’écrire, d’en parler ou de parler de ta vie, qui enrichissent ta vie d’auteure. Quitte à écrire n’importe quoi, comme présentement. Parce que tu lis La vie littéraire de Mathieu Arsenault. Un livre sans point ni virgule. On dirait de l’écriture automatique. Il dit tout ce qui lui passe par la tête. Et le pire, c’est que ce fut publié. Et le deuxième pire, c’est que tu savoures. Tu te revois à quinze ans quand tu écrivais le soir, enfermée dans ma garde-robe. Tes parents croyaient que tu étudiais. C’était avant l’ère des blogues et des réseaux sociaux, avant même l’ère des téléphones intelligents accessibles aux enfants qui insistent pour en avoir. Avoir quinze ans aujourd’hui, tu écrirais probablement un blogue, comme exercice à l’écriture. À l’expression. Le texte de Mathieu Arsenault est plus accessible que celui de Marie-Claire Blais, mais moins facile à lire que La maitresse de Lynda Dion, deux auteures qui ont employé le même procédé, mais avec plus de contenu. Tu ne veux pas dire « plus facile », tu veux dire moins bon. Et ton « plus de contenu » signifie une structure, une ligne de pensée. Tu manques décidément de vocabulaire. Tu devrais relire et prendre des notes en lisant Prague sans toi de Jean Lemieux. Tu aurais voulu que cet auteur écrive plus de romans « adultes », les polars, ça ne t’intéresse plus, tu l’as déjà dit.


Ton esprit est encore dans Écrire la vie d’Annie Ernaux. Tu voudrais lire d’autres livres d’elle pour rester dans cette atmosphère propice à écrire a ton tour. Tu cherches encore comment elle est devenue si « étudiée » avec un contenu si autobiographique. Tu ne trouves pas la liste des auteurs québécois étudiés à l’université. Tu auras toujours ce complexe de ne pas avoir de licence et encore moins de maîtrise en littérature. Même si le cours « création littéraire » avait existé en 1970, l’aurais-tu pris? L’amour, la vie, la nature t’attiraient plus que les études. Pas que tu croyais en savoir assez, mais tu en avais assez de te faire dire quoi penser, de te faire demander ce que pensaient les auteurs, ou devoir expliquer le parcours de tel ou tel philosophe. Tu avais déjà envie de dire ta propre pensée. De trouver ta manière, d’être indépendante et libre du sujet comme du style. Ta jeunesse te rendait audacieuse, impétueuse. Aujourd’hui, ça te rattrape, tu lis les études sur un tel ou un tel. Quelques lignes, quelques paragraphes, juste pour te faire une opinion. Ou plutôt faute d’avoir ta propre opinion, lire ce que d’autres en pensent. Et répéter en faisant semblant que c’est la tienne. Le jour où te le demandera. Ce qui est rare. On te demande ton argent, ton vote, mais rarement ton opinion. De toute façon non seulement tu détestes les Vox populi qui ne veulent rien dire, mais de plus, on t’a tellement appris à nuancer, à ne pas juger que tu as rarement une opinion sur les choses, les gens, les événements qu’ils soient d’ordre politique, littéraire ou sportif. Tu ne penses rien, tu écoutes, tu gobes, tu lis et tu essaies de rester neutre. Depuis longtemps tu n’as plus l’assurance de ta jeunesse. À force, tu as l’impression d’être froide ou vide, au mieux indifférente lors d’échanges. Les discussions sont courtes avec toi. 

Finalement, les livres que tu aimes, ceux qui te donnent envie d’écrire à ton tour, qui te font avancer, tu en parles, mais comme d’un précieux secret. C’est dire qu’ils t’ont touchée. C’est révéler que tu es comme cet auteur ou ce personnage. C’est montrer que tu n’es pas si froide, si neutre, si indifférente. C’est dire un peu qui tu es. Et réussir à trouver d’abord, à circonscrire et à coucher sur papier qui on est, sans paraître présomptueux, ce n’est pas donné à tout le monde. Tu n’es pas ni ne sera jamais Annie Ernaux. N’essaie même pas. Admire ce qu’elle écrit, point. Et continue d’écrire, même si c’est peut-être n’importe quoi et que ça ne sera jamais sujet d’étude ou de prix.

Ajout: Abandonné La vie littéraire. Trop c'est trop. Dans le style trop difficile à suivre, trop de mots, rien pour souffler. Trop de pas-d'émotions. Trop de rien-à-surligner. Comme une cacophonie. Merci tout de même à l'auteur qui m'aura au moins fourni un prétexte pour écrire ce billet.

samedi 4 avril 2015

Écrire pour ne pas vieillir
ou il ne faut pas enterrer les vieux mots

De la neige et du vent pendant la nuit. Un peu choquée contre cet avril qui hésite entre l’hiver et le printemps. Le temps de déjeuner et le soleil se pointe. Meilleure humeur.

Si l’hiver québécois est un temps pour rester à l’intérieur de la maison et de soi, à lire à écrire, à rêver, le printemps pour moi qui suis née en avril, c’est une naissance, un nouvel élan vers le dehors, vers la sortie, vers le nouveau. Vers l’agir.

« Aurai-je plus lu que vécu, plus écrit qu’agit » Yvon Paré se le demande dans le collectif Comme une seule voix. Je me le demande aussi. Depuis au moins quarante ans. Déjà au temps de la lecture de Mathieu de François Loranger (à voir combien de fois je le cite, je vois bien quelle profonde marque il a laissée), j’avais plus d’hivers que d’étés. Je m’introspectais plus que je n'étudiais. Dans ma tête plus que dans mon corps. Je pensais ma vie plutôt que de la vivre. Après Mathieu, je n’avais pas cessé de lire, mais j’avais jeté mes cahiers d’écriture pour ne plus vivre dans le passé, pour sortir, pour vivre le présent. Je ne sais toujours pas si je lis trop, si j’écris trop au lieu d’écouter la mésange qui crie après moi pour avoir ses graines du jour, ou regarder la neige fondre, ou agrandir la rigole pour éviter que l’eau n’entre dans la cave. Pourtant, je ne sais comment faire autrement. Alors, même si j’étais observatrice, si j’étais sur une plage, si je pédalais sur un sentier, je voudrais encore écrire ce que je vois, ce que je ressens à voir ce que je vois, à entendre ce que j’entends.

Tout autre activité que de lire ou écrire m’apparait tellement vaine, tellement perte de temps. 

Je veux tant, je veux temps. 

Bientôt 65 ans. Où sont-ils tous ces écrits que je me promettais de livrer en pâture, quand j’avais 26 ans? Ils étaient jeunes, fringants, ces mots pas pressés de se montrer aux fauves. Ils avaient toute la vie devant eux. Le temps ne criait pas après eux. Ils ne savaient pas qu’ils pouvaient mourir le lendemain. Aujourd’hui, quarante ans plus tard, ils savent, ils sont plus pressés, plus exigeants. Ils veulent sortir de sous la neige et se faire dorer au soleil.

Même mes vieux mots que je ne relis plus, comme si je n’en voulais que des neufs. Ceux des autres, bien souvent. Comme « dégoisait les dents serrées », « une méduse de flammes », « un remugle d’algues pourries » et des « giboulées coléreuses » de Robert Lalonde dans À l’état sauvage

Je n’en ai jamais assez, gourmande de mots. Une faim sans fin. En voici d’autres de Marie-Christine Bernard, dans un article de sa page Facebook: 
Meurs avec moi. L’heure avance. J’ai passé toute cette journée avec toi, j’ai regardé la mort faire son petit chemin de vide à travers les cellules de ton corps, j’ai essuyé ta bave et ramassé ton dentier. Tu ne vas pas attendre que je sois partie pour mourir. J’ai fait tout ce chemin pour être avec toi quand tu mourrais. Meurs avec moi.
Je mourrai peut-être avec les mots des autres au bout des doigts. Et pourquoi pas, la vie d’écriture n’est pas un concours à qui en aurait le plus, les meilleurs, les plus beaux ou les plus publiés.

vendredi 6 février 2015

De la musique intérieure pour écrire

Quand je suis dans l’organisation des jours à venir, des achats à noter, des voyages à préparer, mon esprit est rationnel. Froid. Mon langage direct. Mon cerveau, une armoire compartimentée. Et ça avance d’un pas assuré.

Mais je ne sais plus écrire. 

Pour écrire, pour imaginer, je dois m’abandonner au temps. L’oublier. M’en détacher. Ne plus être dans aucune organisation, aucun agenda, aucune obligation. Mon esprit doit flotter, ici et maintenant, se promener dans un ciel bleu pur et qu’aucun bruit ou nuage-obstacle ne viennent le déranger. Que naisse une petite musique au bout de mes doigts. Au moins les premières notes, et, avec un peu de chance, suivront quelques lignes ou peut-être même quelques pages. 

Écrire, c’est comme méditer. Il faut que viennent des souvenirs d’émotions et ensuite seulement, les voir, les sentir et les faire revivre dans des corps de personnages. En tout cas, c’est ma façon. 

Aujourd’hui, troisième tentative pour la quatrième de couverture : résumé et biographie.

Besoin d’aide, de temps, de silence. J’ai fait brûler de l’encens. Furent brûlés en même temps le doute, l’éparpillement. Furent fermés les tiroirs inutiles. Furent calmées mes propres émotions. 

Et la musique vint.